Quelques instruments de politique monétaire

Nous avons vu dans les deux articles précédents comment la création monétaire pouvait être mise sous tutelle politique, et les nouveaux moyens qui pourraient être offerts à l’État.

Et parce que l’État ne fait pas tout, nous allons voir quelques instruments de politique monétaire qu’il nous faut absolument avoir à disposition afin d’organiser (ou simplement orienter) l’activité humaine.

Pour commencer, décidons-nous que la création monétaire doit être assumée entièrement par l’Institut d’Émission, ou que nous en laissons aux banques ? Il existe plusieurs possibilités.

Comme nous l’avons mentionné, le système bancaire a la possibilité de prêter de l’argent qu’il n’a pas, selon un procédé qui est considéré comptablement comme de la Création Monétaire.
Elle est encadrée actuellement par une réglementation prudentielle, qui prévoit un ratio maximum entre les fonds propres de la banque et le volume de crédit qu’elle peut accorder, considérant qu’au-delà de ce ratio elle prendrait des risques inconsidérés.
Ce ratio pourrait faire l’objet d’une décision politique, liée aux objectifs à atteindre et au degré d’intervention souhaité des pouvoirs publics dans la vie économique, fixant par exemple le ratio à 1 pour 2, 1 pour 3 ou 1 pour 6. (tout en sachant que plus le ratio est haut, moins il est sûr que les banques l’exploiteront en permanence à son maximum… ce qui exposerait à des variations indésirables et imprévisibles)
Comment s’assurer au jour le jour que ce ratio est respecté ? Il existe une manière de s’en assurer mécaniquement : forcer la banque à confier un pourcentage des dépôts de ses clients à la banque centrale. Avec un taux de réserves obligatoires de 20 %, une banque ouvrant un crédit de 1000€ pour son client devra ainsi sortir 200€ de ses coffres, limitant ainsi à 1 / 5 le rapport entre les réserves de la banque et les crédits accordés.
À l’extrême il serait possible d’interdire complètement aux banques d’octroyer des crédits à partir de leurs dépôts, et de donner un monopole de la création monétaire à l’Institut d’Émission.
Donner une liberté aux banques permettrait à l’inverse de laisser une place à l’organisation économique spontanée, d’autant plus souhaitable si celle-ci et les organes de planification sont en harmonie.

Il est aussi possible d’opérer avec des banques qui seraient la propriété de l’État, et donc au service de la stratégie d’ensemble. En Chine aujourd’hui, comme en France dans les années 45-70, quatre grandes banques sont nationalisées et ont la responsabilité chacune d’un secteur de l’économie, permettant ainsi d’opérer de manière plus décentralisée. Outre la force que cela donne à l’intervention publique, la présence de banques nationalisées offre une possibilité importante au citoyen : celle de mettre son épargne au service de la stratégie du gouvernement, notamment s’il la préfère à celles des différentes banques privées.

Autre levier d’importance, qui permettrait d’orienter la circulation monétaire de plus haut : les crédits que l’Institut d’Émission accorde aux banques pourraient faire l’objet de critères précis, selon la stratégie définie et pour permettre un certain degré de décentralisation. Il serait ainsi envisageable de favoriser certains types d’entreprises en fonction de leur taille, de leur adhésion à certaines valeurs, de la pertinence de leur contrôle qualité ou de la durée de vie de leurs produits, de leur choix en termes de rémunération du travail et du capital, etc. En France de tels critères existaient jusqu’en 1980 sous la dénomination de « crédits mobilisables ». Ces prêts accordés par les banques à des personnes remplissant certains critères se voyaient rachetés automatiquement par la Banque de France. Les banques étaient ainsi rémunérées pour jouer l’intermédiaire entre l’État et le porteur de projet, et ce dernier pouvait accéder plus facilement à financement soutenable.
Nous pensons que la définition de ces critères devrait être un élément majeur de la politique économique.
On peut alors aussi garantir que les crédits accordés aux banques ne se retrouvent à alimenter quasi-exclusivement la spéculation.

La Création Monétaire nous ouvre ainsi des portes quant à la promotion de nos entreprises à l’étranger, et aux partenariats économiques en général.
Dans le cas de projets d’infrastructures lourds (chemins de fers, centrales électriques, etc), elle permet ainsi d’adjoindre à ces projets des solutions de financement les rendant plus abordables, et ainsi de toucher des pays n’ayant pas une capacité d’investissement suffisante pour les acheter.
Combien de fois n’a-t-on pas entendu, ces dernières années, que nos fleurons nationaux étaient attractifs, mais « trop chers » pour nos partenaires, qui ne pouvaient disposer de « solutions de financement » ? Combien de fois a-t-on maugréé de voir la Chine exporter ses chantiers partout dans le monde, en prêtant à tour de bras pour que ses clients puisse les acheter ?
Ici nous disposerions enfin des moyens pour promouvoir nos entreprises à l’étranger. De la même manière que la Création monétaire organise l’emploi des forces productives à l’intérieur du territoire, elle organise alors l’interpénétration des tissus économiques à l’extérieur. Outre qu’il permet d’équilibrer la balance commerciale et de constituer des réserves en devises, cet atout est donc essentiel dans le monde interconnecté dans lequel nous vivons (la Chine, encore une fois, en est un parfait exemple) : à condition de savoir précisément ce que nous voulons en échange et le type de relation que nous souhaitons établir, il permet d’organiser la mondialisation plutôt que de la subir.
Une exemple concret en ce sens pourrait être bien être la réalisation du Réseau de Transport Trans-Européen (TEN-T), dans les cartons des instances européennes depuis plus de 30 ans, dont la construction pourrait être assumée par des entreprises telles qu’Alstom ou Siemens… et pour lequel la Chine pourrait bien tirer parti de l’inertie européenne.1À titre d’exemple, il nous semble significatif que le Memorandum d’entente du 23 mars 2019 entre l’Italie et la Chine mentionne : « les parties expriment leur intérêt pour le développement de synergies entre l’initiative “Ceinture et route”, le système italien de transport et d’infrastructure – comme, par exemple, les routes, les voies ferrées, les ponts, l’aviation civile et les ports – et les réseaux transeuropéens de transport ( TEN -T) ».

Il nous reste deux aspects à évoquer, essentiels pour bien coordonner la mise en place de ces politiques.

Note sur la mesure

Il est essentiel de disposer des bons instruments de mesure, permettant de déterminer facilement les deux caractéristiques de notre flux monétaire que sont sa masse et sa vitesse de circulation.
La première est directement contrôlée par l’Institut d’Émission ; elle est dénommée « M0 » . « M1 » est par ailleurs la masse de monnaie « scripturale » à savoir la somme des montants de tous les comptes bancaires (incluant donc la monnaie « créée » par les banques).
Pour la seconde nous disposons d’un indicateur bien connu, à savoir… le PIB ou Produit Intérieur Brut, qui traduit le prix de tout ce qui a été échangé sur notre territoire pendant une année. (ou la « valeur ajoutée » dans le cas de biens partiellement produits à l’étranger) Cet indicateur est donc très pertinent si l’on s’en sert pour avoir idée précise du flux monétaire.
Il suffit de connaître l’augmentation du PIB et la masse monétaire pour savoir quelle quantité de monnaie nous devons émettre pour maintenir le lien entre la monnaie et la production : lorsque le PIB augmente de 3 %, il faut alors augmenter de 3 % la masse monétaire.
Il serait toutefois une erreur de le prendre comme indicateur de la santé économique  : il ne traduit qu’une quantité de bien échangée et donc indirectement un volume de travail, mais il ne donne aucune indication sur la nature de ce travail ; on ne peut donc y lire s’il est purement immatériel, ou au contraire nécessite une quantité significative d’énergie ou de matière, ou encore s’il abîme ou non les être humains. La santé économique est donc au-delà du domaine monétaire, même si ce dernier permet de l’organiser. Cela doit donc être le souci premier de nos instances de gouvernance de la Création Monétaire : ne pas se faire enfermer dans des considérations purement quantitatives, mais comprendre les réalités physiques transformatrices qui sous-tendent l’activité humaine, mais ne se projettent pas forcément dans les chiffres.

Nous avons terminé notre panorama des possibilités offertes par une gouvernance politique et citoyenne de la Création Monétaire.

Il nous reste maintenant à voir comment faire la transition vers un tel système.

Voir l’article suivant : Système monétaire : comment organiser la transition ?

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