Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, le système monétaire actuel va dans le mur à de nombreux points de vue : des sommes d’argent gigantesques nourrissant la spéculation, des taux de changes instables créant des distorsions entre zones monétaires, des États dépendants des marchés financiers et ne pouvant intervenir efficacement sur l’activité économique réelle.
Il va donc falloir envisager certaines remises à plat avant de pouvoir remettre la Création monétaire entre les mains des instances démocratiques.
Les banques
En premier lieu, il convient de s’assurer de la stabilité du système bancaire : la faillite d’un établissement gérant des milliers de comptes de dépôts peut être dramatique, qu’il soit public ou privé. Les principales grandes banques du monde le savent, et opèrent ainsi avec une garantie implicite de l’État – chacun sait que la Réserve Fédérale américaine, la Banque Centrale Européenne et les autres Instituts d’Émission ne manqueront pas d’ouvrir des lignes de crédit phénoménales pour éviter la catastrophe.1Pour palier à cela, il a été décidé en Union Européenne en 2016 qu’une partie des dépôts pouvaient être prélevés en cas de difficulté majeure de l’établissement. Cette politique avait précédemment été expérimentée à Chypre en 2013. La manière la plus simple et la plus efficace de garantir cette stabilité est de restreindre les activités de la banque à celles qui nous intéressent, à savoir gérer les dépôts et accorder des crédits. Les activités de spéculation et d’assurance seraient ainsi transférées à des « banques d’investissement », dont la faillite aurait un impact beaucoup plus limité sur l’activité économique, et qui ne disposeraient pas de la force de frappe que constitue l’argent des épargnants. Une telle séparation des métiers de banques permettrait de remettre les choses à plat à la suite de la crise de 2008, dont nous sentons toujours les effets, et d’éviter qu’elle puisse se reproduire.
Elle permet en outre de garantir que les crédits octroyés aux banques par l’Institut d’Émission vont bien rester dans l’économie réelle, plutôt que d’être absorbés par la spéculation.
Les échanges internationaux
Concernant la « guerre des monnaies » et l’instabilité des taux de changes, rien ne saurait être plus heureux pour le destin de la communauté internationale qu’un nouvel accord financier global réinstaurant un système de taux de changes fixes, et prévoyant éventuellement des règles d’harmonisation fiscales. Le sujet mériterait un article entier (peut-être même un ouvrage !) et nous ne pouvons le développer ici. Précisons juste qu’un tel accord est souhaité par un nombre croissant d’acteurs sur la scène internationale, et que la route pour y parvenir est peut-être moins longue qu’il n’y paraît.
À court terme toutefois, une mesure similaire pourrait être prise concernant les échanges notre monnaie et les autres. Il s’agirait de n’autoriser les mouvements de capitaux que s’ils correspondent à une relation commerciale existante (ou en cours de constitution), et de refuser ceux qui sont purement spéculatifs. Certes dans le système actuel où les états ne contrôlent pas leur circulation monétaire, avoir des investisseurs qui déposent leurs capitaux dans notre zone monétaire uniquement parce qu’elle est stable pourrait être vu comme une opportunité d’accueillir de la monnaie « fraîche ». Mais dans le système que nous souhaitons bâtir, nous pourrons tout-à-fait nous en passer.
La véritable « stabilité des prix »
Par ailleurs, nous avons vu que la stabilité des prix dans le domaine monétaire est une des conditions de la prospérité économique. Ici il ne s’agit pas de rejeter cette règle, au nom du fait qu’elle est officiellement adoptée par les principales Banques Centrales. Il s’agit au contraire de l’appliquer vraiment, et si l’on veut traiter cette question à fond il n’est plus question de se contenter de réguler le volume des crédits : il faut réguler ou interdire la spéculation financière.
Certes, les instruments financiers utilisés pour la spéculation permettent dans de nombreux cas de réguler les prix (un peu comme congeler des fraises en été pour les vendre en hiver), offrent des moyens de financements aux grandes entreprises à travers la bourse et donnent les moyens aux producteurs de se couvrir contre des variations désavantageuses du prix des marchandises ou des monnaies. Ils peuvent donc être utiles. Mais au regard des proportions, ce serait une erreur de considérer que cela constitue leur fonction principale et que les bulles financières sont un épiphénomène. Si l’on fait le bilan aujourd’hui, les conséquences négatives de la spéculation sur l’activité économique sont sans commune mesure avec ses quelques aspects positifs2La régulation des prix pourrait d’ailleurs tout aussi bien se faire avec une agence publique à but non lucratif et en constituant des stocks d’intervention..
De même, l’argument consistant à dire que l’économie réelle a besoin de la spéculation pour se financer (la fameuse « théorie du ruissellement », qu’on pourrait aussi appeler la théorie des miettes) ne tient que dans un système où la création monétaire ne joue pas son rôle. Il contient donc peut-être une part de vérité aux États-Unis et dans l’Union Européenne aujourd’hui (où l’on se demande d’ailleurs si la création monétaire ne sert pas tout court à spéculer) mais il sera faux dans le système que nous cherchons à établir.
La première chose à faire est donc de cesser d’orienter (ou de laisser s’orienter) la Création Monétaire vers la spéculation. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, une séparation stricte des métiers de banques permettra de le garantir.
Ensuite, une mesure particulièrement efficace serait d’interdire la « vente à découvert à nu », pour faire simple l’achat/vente de produits de couvertures et autres assurances sur des biens que l’on ne possède pas. Ce serait en effet comme s’assurer contre l’incendie de la maison du voisin et toucher de l’argent si celle-ci brûle. Pour reprendre un exemple concret de ces dernières années, il est scandaleux que des personnes aient pu acheter et revendre des assurances contre un défaut de paiement de la Grèce, alors qu’elles ne possédaient aucun titre de créance.
Enfin, il serait tout-à-fait légitime de fixer des prix planchers pour certaines productions, afin de garantir que celles-ci ne soient pas échangées en dessous du « prix naturel », notamment pour des biens dont on ne peut contester la nécessité tels que les denrées agricoles.
Enfin, une fois que le système bancaire est stabilisé – ou peut-être dans le même temps – il convient de régler la question des intérêts versés sur les emprunts publics. Ceux-ci représentent en effet plus de 50 milliards d’euros par an, pour un total de 1700 milliards d’euros sur les quarante dernières années : il appartiendra aux citoyens de juger si c’est une affaire scandaleuse ou non, et si une restructuration plus ou moins forcée de la dette est souhaitable. Il sera alors certainement nécessaire de faire du cas pas cas, comme le permettrait un audit complet de la dette française.
Pour finir, quelques mots sur la raison pour laquelle nous avons laissé de côté la question de l’Union Européenne : notre objectif ici est de faire prendre conscience de l’importance vitale de mettre la création monétaire sous tutelle politique, et de l’urgence avec laquelle cela doit être fait. Nous laissons donc le lecteur décider s’il préférerait voir émerger une telle gouvernance au niveau du gouvernement français, de l’Union Européenne, ou encore à travers de nouveaux accords multilatéraux. Mais nous insistons sur le fait que cela ne doit en aucun cas être relégué dans une renégociation d’une dizaine d’années ou plus, alors que le préjudice humain est déjà occasionné et devient de plus en plus dramatique.
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