Économie réelle : tous les chemins mènent au travail

Peut-être vous êtes-vous déjà étonnés, parfois indignés, des situations apparemment absurdes produites par « l’économie » : des marchandises qui font plusieurs milliers de kilomètres au lieu d’être produites sur place, des millions de chômeurs alors qu’il y a tant à faire, des milliards de dollars injectés dans le système sans que cela change quoi que ce soit pour la condition des citoyens ordinaires ;
On croirait de plus en plus que le monde de l’argent a oublié le monde réel, sa nature physique. Et quand on se penche sur l’économie réelle, on voit que ça ne peut pas durer.

En tant que citoyen ordinaire, lorsqu’on essaie de creuser la « question économique », il n’est pas rare d’en tirer plus de confusion qu’autre chose.

  • On entend que les banques « créent » de la monnaie, mais qu’en même temps pas vraiment, puis qu’en réalité c’est la Banque Centrale Européenne qui est chargée de la création monétaire mais que ce qu’elle crée n’est pas vraiment de la monnaie ;
  • On entend dire qu’il est tout-à-fait normal que des marchandises parcourent des milliers de kilomètres, plutôt que d’être achetées ou produites sur place ;
  • Depuis 2008, on entend parler de milliards d’euros qui auraient été injectés dans le système, sans que cela change quoi que ce soit à la vie de tous les jours ;
  • On entend parler de taux d’intérêt négatifs (comme si on vous payait pour vous prêter de l’argent), et on a même vu du pétrole se vendre à prix négatif, là aussi sans que cela change le prix à la pompe…

Et puis, on entend surtout qu’il n’y a pas d’argent, que nous avons vécu « au-dessus de nos moyens », et que nous allons devoir payer une dette « sur plusieurs générations » : concept qui, là où il est appliqué, aboutit paradoxalement à ce que moins de gens puissent travailler…

Afin de partir sur de bonnes bases, nous vous proposons donc d’oublier un peu les complexités du monde de l’argent, et de nous concentrer sur quelque chose de plus immédiat, plus simple à saisir : l’organisation physique de l’activité humaine, à savoir ce que nous produisons et la manière nous le produisons, que l’on pourrait appeler instinctivement « l’économie réelle ».


Car l’économie est d’abord physique. S’il est communément admis que la fonction première de l’argent – en tout cas celle qui nous intéresse – est de nous permettre d’échanger facilement des biens et des services, la quasi-totalité de la production humaine est issue d’un travail. En dehors des abstractions introduites par la notion de propriété (rentes, brevets, etc.), c’est donc du travail que nous échangeons. 1On peut d’ailleurs noter que lorsque l’on juge communément la légitimité des abstractions en question, c’est souvent par rapport à leur correspondance à un travail.
Dans le domaine des sciences physiques, et notamment dans l’étude des forces mécaniques de l’Univers, il existe aussi un concept de « Travail » que nous pouvons définir comme suit : l’action d’une force sur un objet, provoquant son mouvement ou sa transformation. Cette formulation semble être très loin de ce que nous appelons le travail dans la vie de tous les jours. Pourtant elle n’est pas si différente. Supposez que quelqu’un soulève un seau d’eau pour le reposer quelques mètres plus loin : au sens physique du terme, vous avez effectué un travail. Si maintenant cette personne effectue cet effort non pas sur quelques mètres, mais pour aller de la source à la ferme, alors ce travail prend un sens pour la vie de la communauté.

Le travail exercé par l’être humain (ci-après dénommé « travail humain ») a toutefois quelque chose de plus qu’une force mécanique. Contrairement aux autres forces physiques qui exercent toujours le même effort et engendrent le même résultat, il change de nature et s’améliore, au fur et à mesure que l’humain découvre les principes du monde qui l’entoure. Pour reprendre notre exemple, la découverte des phénomènes électro-magnétiques permet depuis plus d’un siècle d’amener l’eau à la ferme par un système de pompage électrique, nous évitant ainsi d’avoir à aller la chercher directement.
Le travail Humain n’appartient donc pas seulement au domaine mécanique, il dépend d’une idée ; de l’idée que l’on se fait du monde à un instant donné. Il organise la matière d’une manière qui n’avait jamais été vue auparavant : la Vie avait déjà transformé le visage de la Terre, à travers le Travail Humain les idées façonnent le monde de manière encore plus profonde, plus rapide, plus radicale… plus dangereuse aussi, si l’on s’accroche à des illusions et des modes de pensées erronés. 2Ce danger est d’autant plus grand que la majeure partie des êtres humains est exclue de ce processus de recherche et d’idées qui sous-tend l’amélioration du travail.

En prenant ces quelques considération comme point de départ, il nous semble en tout cas qu’il ne puisse pas exister de formule mathématico-économique qui caractérise l’organisation de l’activité humaine en tout temps et en tous lieux. Cette organisation dépend dans une large mesure de l’état des connaissances du monde et de ses applications (le « niveau technologique »), et se structurera différemment avant ou après l’apparition du transport motorisé, de la communication par ondes électro-magnétiques, de l’intelligence artificielle, et à plus forte raison de ce que nous n’entrevoyons pas encore. De même on voit que le PIB, qui est d’ordinaire pris comme l’indicateur de référence de « croissance » d’une économie, reflète certes un volume de travail mais pas la nature de ce travail au sens physique, à savoir l’action ou la transformation qui lui est associée.
Les choses se complexifient encore plus si nous décidons d’inclure dans la science économique non plus seulement l’étude de l’organisation du travail humain à un instant donné, mais aussi les conditions de passage à un niveau supérieur de connaissance.

Cette quête d’une meilleure compréhension du monde implique que les êtres humains sortent de plus en plus de la survie, et disposent d’un espace mental suffisant pour trouver des réponses à des questions de plus en plus profondes.
Elle implique un dialogue, une recherche commune, elle implique de regarder l’autre comme un égal et non comme une ressource de plus à exploiter.
Elle implique, comme le disait Jaurès, des individus qui apprennent « à dire ‘moi’ , non par les témérités de l’indiscipline ou de l’orgueil, mais par la force de la vie intérieure. »

Bon certes ce dernier paragraphe va un petit peu loin. Nous espérons néanmoins que défini ainsi, notre champ d’études « économiques » vous paraîtra un peu plus passionnant qu’une simple bataille de chiffres…

Tout ceci étant dit, nous pouvons poser trois constations de base concernant cette notion de Travail, que nous vous demandons de garder en mémoire pour la suite.

  • Premièrement, on ne travaille jamais pour rien : on le fait en vue d’un objectif. Il paraîtrait absurde, par exemple, de travailler à creuser un trou pour le reboucher ensuite.
  • Secondement, quand il y a à la fois une montagne de choses à faire, et des gens qui ne travaillent pas, c’est qu’on est mal organisé.
  • Troisièmement, lorsqu’on découvre un moyen de faire en deux heures ce qu’on faisait en trois, c’est très souvent une bonne chose.

Concernant ce troisième point, les choses se complexifient toutefois avec le nombre : À l’échelle d’une famille agricole, l’acquisition d’un tracteur permettant de cultiver le champ avec moins de bras offre la possibilité aux enfants d’apprendre un autre métier ou de faire des études.
Mais dans la situation actuelle où la robotisation et l’intelligence artificielle vont remplacer des millions de travailleurs, il n’est pas du tout évident de savoir comment et vers quoi ces personnes vont pouvoir se réorienter, ni même si cette opportunité ne pourrait pas se transformer en tragédie.

C’est là que la monnaie intervient, comme nous allons le voir dans les deux prochains articles.

Lire l’article suivant : les liens entre monnaie et activité économique

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