Organiser l’activité économique par la Création Monétaire

Dans l’article précédent, nous avons vu l’existence d’un lien entre la monnaie et l’activité humaine.
Nous avons notamment constaté qu’afin que la valeur de l’argent soit constante, toute augmentation de la production de biens et de services devait s’accompagner d’un accroissement de la circulation monétaire.

Imaginez maintenant que nous souhaitions réaliser l’un de ces projets incontestablement utiles, mais qu’on dit impossibles à financer ou même « pharaoniques », comme la création de 500 000 logements neufs par an sur le territoire français.
Si nous suivons ce qui a été dit précédemment sur le lien monnaie-production, nous pouvons prévoir qu’une fois le projet réalisé il faudrait s’assurer qu’une quantité de monnaie correspondante aux 500 000 logements a été mise en circulation, afin que ceux-ci puissent être échangés dans de bonnes conditions et sans déformation des prix. Parmi toutes les choses à penser pour mener à bien notre chantier, il faudra donc à un moment donné effectuer une création monétaire.

De cette considération en apparence purement abstraite, vient alors une idée :
Est-il possible d’émettre en amont cette quantité de monnaie afin de financer le démarrage du projet, sachant qu’en aval, une fois le projet abouti, elle aura sa contrepartie physique ?

La réponse est oui, ça fonctionne ! Il est tout à fait possible de créer de l’argent à partir de rien et de s’en servir pour payer les salariés et les fournitures, du moment que les richesses générées à la fin sont réelles. Même si cela peut paraître choquant, c’est ainsi que l’on peut mener une politique de grands travaux à l’échelle d’un pays entier, pour des montants qui seraient autrement considérés comme prohibitifs. Le New Deal de Roosevelt et ses 5 millions d’emplois créés en 4 ans, ainsi que les Trente Glorieuses en France après 1945, sont de parfaits exemples des résultats qui peuvent être obtenus lorsqu’un État mène ce genre de politique.

Mais si c’était vraiment si simple, pourquoi ne le fait-on pas aujourd’hui ? Serait-ce vraiment une bonne idée de diriger l’économie de cette façon ? Pas pour la plupart des experts actuels pour qui « faire marcher la planche à billets c’est inflationniste ».
Pour faire simple, c’est bien beau d’imprimer des tonnes d’argent en faisant un pari sur l’avenir, mais en attendant la hausse des prix résultante sera bien réelle, la confiance dans la monnaie sera ébranlée, l’activité économique sera rendue instable, et on aura de très gros problèmes à résoudre. Et dans tout cela, l’aboutissement même du projet sera bien évidemment compromis. Cela fait sens, et c’est l’argument principal pour justifier que la planche à billets (autrement nommée « Institut d’Émission » ou « Banque centrale ») soit gérée par des experts, non des élus, et considérer que ce procédé est une mauvaise solution miracle. Mais ce scénario est tout à fait évitable : pour comprendre cela, et pour que vous puissiez accorder un minimum de vraisemblance à ce procédé étonnant, nous allons devoir examiner un peu plus en détail comment cela se passe.

L’erreur serait de penser qu’à l’instant où vous augmentez la masse monétaire, l’ensemble des prix va augmenter instantanément. En réalité cela se passe comme si vous versiez un seau d’eau dans une baignoire : l’eau ne va pas monter uniformément, mais d’abord là où vous l’avez versée, au voisinage de là où l’action a été effectuée. C’est un phénomène de propagation, dans notre cas non pas de manière continue mais à chaque acte d’achat/vente ou « transaction ».
Plus précisément, l’argent émis pour financer la construction de nos logements va d’abord servir à embaucher des employés et à acheter des fournitures. C’est d’abord là qu’un phénomène de hausse des prix peut se manifester, notamment si le surcroît de demande que nous occasionnons – ou que nos employés occasionnent en dépensant leur salaire – ne peut être compensé par une augmentation de l’offre des fournisseurs, mettant le marché sous tension. Mais ce n’est pas automatique : si le fournisseur dispose de marges sur ses capacités de production, ou s’il dispose de stocks, la tension ressentie sera minimale. Dans le cas de logiciels et autres biens immatériels, elle sera quasi-nulle. Mais surtout, nous pouvons la minimiser si nous avons fait en sorte au préalable que le fournisseur (ou ses concurrents) puisse augmenter ses capacités de productions, en vue des nouvelles demandes que nous introduisons dans l’activité économique. Reste alors à savoir comment faire pour que cette augmentation génère le moins possible de tension et d’inflation.
Concernant le risque d’inflation lié à nos employés, nous pouvons le traiter de la même façon. Selon la manière dont ils utiliseront leur salaire cela générera aussi un surcroît de demande dans divers secteurs. Nous devons alors anticiper les tensions qui pourraient en résulter, en nous assurant comme précédemment de la suffisance des capacités de production. Par ailleurs, une partie de leur salaire, consacrée aux impôts et cotisations aura un impact positif sur les services de l’État et la Sécurité Sociale, et une autre partie du salaire sera sans doute mise de côté, peut-être en vue de l’achat d’un logement – ce qui permettrait dans notre cas de faire d’une pierre deux coups.
Nous déplaçons ainsi les tensions sur les prix, de proche en proche. Et au fur-et-à-mesure que nous les déplaçons nous les amortissons.

Nous pouvons ainsi établir quatre conditions pour garantir le succès de notre opération :

1. Il implique une stratégie d’ensemble et une coordination entre les acteurs, autrement dit un plan. Les compétences socio-économiques permettant d’imaginer et de déployer ce type de stratégie sont donc essentielles, à plus forte raison lorsque nous envisageons des aménagements à grande échelle tels que la revitalisation des zones rurales ;

2. Que la demande (au sens large) existe pour la nouvelle production, éventuellement qu’elle soit elle aussi coordonnée et financée ;

3. Que des travailleurs soient disponibles, sans quoi nous ne pourrons embaucher : il serait inefficace d’utiliser cette méthode en période de plein emploi ;

4. Que les matériaux ou « ressources » soient disponibles : pour prendre un exemple très simplifié, nous ne construirons pas cinq-cents mille logements en béton si nos carrières d’argiles ne permettent d’en faire que trois-cents mille. Nous devons toutefois nous rappeler que cette limite n’est pas figée, mais qu’elle évolue en fonction de ce que l’Homme comprend du monde.

Tel est, en substance, le type d’ingénierie économique à déployer pour mettre la création monétaire au service d’une évolution délibérée de l’activité humaine.
À ce stade nous souhaitons faire quelques constatations :

Notez que le procédé est neutre. Il peut être utilisé aussi bien pour construire des logements, des voitures électriques ou des satellites, des centres commerciaux, remplacer les chaudières au fioul… ou fabriquer des armes. Le critère principal étant que la demande existe pour cette production.

Par ailleurs, nous avons parlé de projet visant à accroître la production ; le principe serait le même si notre projet visait non pas à accroître la quantité de production mais sa qualité. De manière générale, il est valable pour toute évolution auquel l’acheteur accorde de la valeur : si par exemple l’acheteur est prêt à mettre le prix pour des biens dont le mode de production est plus « écologique », plus respectueux des êtres vivants, ou tout autre critère objectif ou subjectif 1Nous sommes conscients qu’une telle subjectivité de la valeur ouvre une boîte de Pandore, notamment en ce qu’elle peut engendrer des contradictions logiques, et qu’elle mérite en conséquence d’être étudiée de manière plus poussée. demandant un surcroît de travail, alors cette évolution pourra être financée par de la création monétaire.

Pour finir, nous souhaitons dire quelques mots sur le développement non pas de la quantité ou de la qualité de la production, mais de la productivité du travail même : lorsque nous sommes plus efficaces dans notre besogne, permettant ainsi de travailler moins, gagner plus, ou simplement avoir une meilleure vie.

Que ce soit par l’introduction de technologies ou de ressources nouvelles, par la montée en compétence des travailleurs, par un effort de formation ou simplement par économie d’échelle, cette transformation ne change pas nécessairement la quantité ou la qualité de ce qui est produit : elle n’implique donc pas directement de contrepartie monétaire. Néanmoins elle libère du temps de travail qui pourra être réinvesti dans une croissance quantitative ou qualitative de l’activité, spontanément ou – le cas échéant – selon le principe que nous venons d’énoncer. C’est tout l’enjeu de la révolution numérique et robotique à laquelle nous sommes actuellement confrontés : des millions de travailleurs vont être remplacés par des machines, et risquent à très court terme d’être purement et simplement jetés dans la misère. Mais nous pouvons aussi organiser la transition, de manière à ce que la gigantesque force de travail mise en disponibilité ouvre de nouveaux chantiers auxquels nous ne pouvions nous consacrer auparavant : l’ouverture d’activités à forte valeur sociale comme les services à l’enfance et aux personnes âgées ; un effort de recherche fondamentale et d’ingénierie de pointe, permettant la découverte de nouvelles ressources et l’amélioration de notre efficacité énergétique ; le développement intérieur de l’individu à travers l’éducation, les arts, la philosophie. Le financement par la création monétaire est ainsi la voie étroite qui sépare le rêve du cauchemar pour ce début de 21e siècle.

Petite mise au point…

Sur la croissance

Ici nous adoptons pour la notion de « croissance » une définition neutre : de notre point de vue il y a croissance dès lors qu’il y a plus de travail engagé dans l’activité humaine, et donc nécessité d’une augmentation de la masse monétaire. Cela ne préjuge pas de la nature de ce travail en tant qu’action transformatrice. La croissance de l’activité humaine peut désigner aussi bien une croissance matérielle comme la surproduction de biens de consommation, une croissance qualitative comme l’implémentation de modes de production plus respectueux/écologiques, ou une croissance spirituelle avec le développement d’activités immatérielles comme l’histoire, l’art, les sciences et la philosophie, nourrissant la vie intérieure des citoyens et apportant du sens. Si par « croissance » vous entendez les travers d’une société de consommation à la surproduction effrénée, sachez d’ailleurs que nous les condamnons également 😉

Sur la productivité du travail

À travers cette notion de « productivité du travail» nous ne parlons pas nécessairement d’une énième doctrine telle que le taylorisme visant à abrutir les êtres humains et à les transformer en robots pour être plus rapides (ce qui d’ailleurs aurait des effets pas forcément positifs sur l’activité humaine prise dans son ensemble). Plus largement, elle touche à ce qui caractérise l’essence même du développement humain : cette capacité à améliorer constamment sa manière de faire, fondée sur une compréhension croissante de l’univers et de ses principes. Lorsqu’on l’aborde dans toute sa profondeur, c’est une transformation qu’on peut difficilement réduire à une formule mathématique : ce serait comme tenter de mesurer si oui ou non, la pratique du violon était déterminante dans le travail scientifique d’Einstein, ou de savoir si la réédition des œuvres complètes de Confucius aura un impact sur la productivité globale de la Chine. Ce serait comme tenter de déterminer, de deux environnements culturels, lequel est le plus propice à développer l’imagination, la curiosité et autres qualités nécessaires à l’invention comme à la recherche fondamentale.


Nous espérons dans cet article vous avoir montré qu’il n’y a pas de crise financière qui soit insoluble : l’essentiel étant de maintenir le lien entre le monétaire et le physique, de savoir quelles nouvelles activités nous souhaitons voir émerger, de créer des cycles vertueux où nous apprenons à produire plus vite et mieux, de provoquer et d’accompagner les grands changements de l’Histoire. Au-delà des chiffres, la vraie question est de savoir comment nous travaillons, quelles ressources nous utilisons, et comment nous voyons la prochaine étape de l’aventure humaine – étape qui à coup sûr, ne ressemblera à rien de ce qui a déjà été observé.
Il n’y a aucune limite monétaire à l’investissement. La seule limite réside dans le nombre de travailleurs que nous pouvons engager, des équipements et des ressources que nous pouvons leur procurer. C’est, comme cela a été énoncé dans le premier Plan de modernisation et d’équipement de la France, « une limite physique ». 2Voir le plan de modernisation et d’équipement de la France 1947-1953, page 84. Il est à noter que la reconstruction de la France durant la période ne s’est pas faite sans une forte inflation, à tel point que selon MM Jean-Pierre Patat, directeur général honoraire de la Banque de France et Michel Lutfallat déclarèrent dans leur Histoire Monétaire du 20e siècle qu’elle fut « payée par la monnaie ». Cette inflation aurait pu toutefois être pire suite aux circonstances de l’après-guerre, et la contenir était l’un des objectifs du Plan. D’autre part elle semble avoir été jugée comme secondaire par l’Histoire, qui a plutôt retenu la rapidité de la reconstruction et la période d’élévation du niveau de vie qui s’en est suivi.

Ceci étant dit, vous êtes peut-être gênés à l’idée que l’on puisse créer de l’argent, comme ça, juste parce que nous avons un beau projet, sans avoir trimé dur pour le mériter ; après tout cela ressemble un peu à du vol. À cela nous répondrons deux choses : d’une part, le critère qui nous semble le plus important est que le pouvoir d’achat lié à une somme d’argent doit rester constant avec le temps, et nous avons montré que cela implique bien souvent des créations monétaires ex-nihilo. D’autre part, cela existe déjà et cela se fait tous les jours… C’est ce que nous allons voir maintenant.

Lire l’article suivant : Politique monétaire, BCE, qui contrôle la monnaie ?

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