Nous avons vu dans les articles précédents comment la monnaie pouvait servir à organiser l’activité humaine. Dans les articles qui suivent, nous allons confronter ce principe avec l’organisation de l’actuel système économique, avec une première question : qui contrôle la Création Monétaire ?
L’argent que nous utilisons tous les jours, que ce soit sous forme de billets ou sur notre compte bancaire, vient forcément de quelque part : on peut se demander quel est cet organisme que nous pourrions appeler « Institut d’Émission », qui a mis l’argent en circulation. Qui continue à le faire d’ailleurs : car il ne s’agit pas seulement d’une quantité de monnaie créée à l’instant zéro, sorte de « Création Monétaire Originelle » qui resterait immuable au cours du temps ; des millions voire des milliards d’euros sont créés et détruits tous les jours, et il en est de même pour les principales monnaies du monde. Si vous avez lu les articles qui précèdent, vous comprendrez donc que cet organisme en charge de la monnaie a un pouvoir important.
Est-il contrôlé par les gouvernements ? Au cours de l’histoire pas toujours, et aujourd’hui… pas tellement.
En France de 1800 jusqu’en 1945, la « Banque de France » qui avait le privilège exclusif de l’émission monétaire était une institution privée, possédée par 200 actionnaires (surnommés « les 200 familles »). Elle fut nationalisée en 1945 par le gouvernement et mise sous la tutelle du premier ministre, avant d’être progressivement transformée en institution indépendante et finalement intégrée dans le système de l’euro.
Et aujourd’hui, la circulation monétaire est sous la responsabilité de la « Banque Centrale Européenne ».1Il est à préciser que cette responsabilité est partagée avec le « Système Européen de Banques Centrales » , composé des Banques centrales ou nationales de chacun des pays membres, bien qu’il soit en principe dirigé par la BCE selon le protocole n°4 sur les statuts du SEBC. Cette institution a été voulue entièrement indépendante des pouvoirs publics, et a même interdiction de prêter de l’argent aux États. Voici comment cela a été formulé dans le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, actuellement en vigueur alors qu’il fut refusé par les français lors du referendum de 2005 (!) :
Article 123
Il est interdit à la Banque centrale européenne […] d’accorder des découverts ou tout autre type de
crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres;Article 130
Dans l’exercice du pouvoir et dans l’accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été
conférés par les traités et les statuts du SEBC et de la BCE, ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent
solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. Les institutions, organes ou organismes de
l’Union ainsi que les gouvernements des États membres s’engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la Banque centrale européenne ou des banques centrales nationales dans l’accomplissement de leurs missions.
Et que fait donc cette Banque Centrale Européenne, qui mène sa politique monétaire indépendamment des élus et des pouvoirs publics ? Comme nous pouvons le lire dans l’article 127, son principal objectif est la « stabilité des prix » (sans pour autant réguler la spéculation financière) et elle agit conformément « au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Elle est donc alignée – dans les textes du moins – sur une idée que la monnaie est neutre, et qu’il serait vain (voire nocif) de l’utiliser pour organiser l’activité humaine.
En pratique, son principal instrument de politique monétaire est le taux auquel elle consent à accorder des prêts. Elle peut ainsi le diminuer pour faire en sorte qu’il y ait plus de monnaie en circulation (les conditions d’emprunts étant meilleures) ou l’augmenter dans le cas contraire. Ses émissions monétaires sont par contre toujours contre remboursement, elle ne « donne » jamais d’argent et aucune monnaie n’est émise de manière permanente.
Ses interlocuteurs sont uniquement des banques, laissant à ces dernières le soin d’orienter ces liquidités dans tel ou tel pan de l’économie. En principe elle ne refuse jamais de leur prêter ; le seul précédent historique étant le refus de prêter aux banques grecques, au lendemain de l’élection du gouvernement socialiste d’Alexei Tsipras et pendant toute la durée des négociations.
Elle ne traite jamais avec les États et les citoyens, mais peut racheter des titres financiers d’entreprises et de fonds d’investissement ; ce qu’elle a fait massivement depuis 2008.
Tel est, en substance, le fonctionnement de la plupart des systèmes monétaires actuels. Avec quelques variations selon la zone géographique, mais globalement le même schéma : un Institut d’Émission qui prête aux banques, et des banques qui gèrent l’argent en circulation. Sauf exception, l’Institut d’Émission n’intervient qu’indirectement : en Union Européenne, il lui est interdit d’accorder des prêts à d’autres organismes que les banques privées ; la stabilité des prix dont nous avons parlé plus haut fait bien partie de ses prérogatives, mais cela s’arrête là ; l’Institut d’Émission n’a aucun objectif en termes de direction à donner au travail humain. Même chose en Angleterre, où le seul objectif officiel est cette stabilité des prix. Aux États-Unis c’est un peu différent, la « Federal Reserve » étant une institution privée ayant la mission de tendre vers un « taux d’emploi maximum » et des « taux d’intérêt à long terme », ce qu’elle doit chercher indirectement à travers une « croissance des agrégats monétaires et de la quantité de crédit », tout en devant rendre des comptes au Congrès.2Federal Reserve Act, 1978, Section 2A Et ces trois organismes, respectivement la « Banque Centrale Européenne », la « Banque d’Angleterre » et la « Réserve Fédérale Américaine » sont indépendants, à savoir qu’ils opèrent sans recevoir la moindre consigne des élus et des instances démocratiques. Il en est de même pour les banques centrales des 15 premières puissances mondiales, à l’exception notable de la Chine et de l’Inde. 3Pour bon nombre de pays, l’indépendance de la Banque Centrale est récente et a été actée suite à une législation passée dans les années 90.
Ceci étant posé, vous avez certainement entendu dire que les banques créent elles aussi de la monnaie, voire même qu’il existe une distinction entre la « monnaie banque centrale » émise par l’institut d’émission et la monnaie créée par les banques – cette dernière étant celle que nous utilisons pour nos échanges de tous les jours.
Pour comprendre cela nous allons devoir rentrer un peu plus dans le détail du fonctionnement d’un tel système, à commencer par introduire le concept de vitesse de circulation de la monnaie.
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