Parce que la création monétaire permet d’organiser le travail humain, et donc la manière dont l’Homme transforme son environnement ;
Parce qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’envisager l’avenir, et qu’on ne peut laisser cette question à un groupement d’experts ;
Parce qu’enfin, le bon fonctionnement du système monétaire est une question de sécurité nationale ;
Au même titre que l’armée ou la police, la monnaie doit être dirigée par les gouvernements.
Le mode de gouvernance
L’Institut d’Émission doit donc être sous tutelle politique, et doit exécuter les décisions prises par les pouvoirs publics. S’il n’est pas forcément nécessaire que son dirigeant soit élu, il doit avoir des comptes à rendre et être révocable si besoin.
Ceci étant dit, se pose alors la question de la gouvernance des institutions financières : sous quel mode doivent être décidées les grandes orientations de la politique monétaire ?
Bien qu’il n’y ait pas à notre connaissance de réponse parfaite à cette question, nous allons tenter de donner quelques éléments de réponse.
À commencer par regarder ce qui a été fait par le passé : lors des trente glorieuses entre 1945 et 1975, l’État organisait l’économie selon un principe de planification « indicative et incitative » ayant permis de nombreuses réalisations parmi lesquelles la reconstruction d’après 1945, la modernisation de l’équipement des agriculteurs ou la construction de 300 000 logements neufs par an au début des années 60.1On trouve en début de chaque plan un état des lieux plus ou moins long des réalisations du précédent. À titre d’exemple, le résultat du troisième plan concernant les logements se retrouve dans le quatrième plan page 64. On peut retenir de cette période que le fait de mettre la planche à billets sous tutelle des élus, tout en garantissant que ceux-ci ne fassent pas n’importe quoi avec, est possible.2Le principe de plan quinquennal durera jusqu’en 1992. Parmi les causes de la crise de la planification invoquées dans le rapport de Jean De Gaulle sur l’avenir du Plan en 1993, sont mentionnées que « l’incapacité à prévoir des crises majeures a affaibli la portée de notre planification », que l’« internationalisation des marchés de capitaux renforce le caractère aléatoire de nos économies » et que « les engagements financiers, qui avaient pris tout leur sens lors des plans de la période de forte croissance, sont pour leur part peu respectés ou disparaissent ». Il mentionne par ailleurs que « l’utilité et la cohérence de la planification ne sont pas remises en cause ». Les objectifs de cette planification étaient élaborés tous les 5 ans par le « Commissariat au Plan », dépendant directement du premier ministre. Le Plan était validé par le Parlement3Les modalités d’approbation du Plan par le parlement ont été définies dans une loi du 4 août 1962., les financements étant ensuite coordonnés par la « Commission des Investissements ».4Cette commission comprenait à l’origine le Commissaire général au Plan ou son délégué, le gouverneur de la Banque de France, le directeur du Trésor et le directeur du Budget (Finances), le directeur des Programmes économiques (Économie nationale), des représentants des ministères techniques (Agriculture, Industrie, Travaux Publics, etc.). Pour plus d’informations à ce sujet, voir les travaux de Laure Quennouëlle-Corre sur le Trésor.Dans cette optique, il ne s’agissait pas nécessairement pour le gouvernement de toute faire, mais de coordonner les acteurs publics et privés.
Sur le Plan de la gouvernance, le seul reproche que nous pourrions faire à ce système est qu’il dépend entièrement de l’exécutif. Le parlement n’est consulté que pour valider ou non le produit fini, tandis que les forces productives du pays ne sont intégrées aux décisions que par des consultations du Commissariat au Plan.
C’est pour pallier à ce problème que Pierre Mendès-France proposa dans son ouvrage « La République Moderne » (dont nous vous recommandons la lecture !) d’ajouter un « Conseil Économique et Social » dans la boucle de décision.
Celui-ci serait composé de représentants des corps de métiers et forces vives du pays : les syndicats et les associations de consommateurs pourraient en faire partie, et passeraient ainsi d’un rôle de revendication à un rôle de décision dans les grandes orientations économiques.5« La République Moderne » de Pierre Mendès-France, notamment les chapitres 5 à 8. Cette triangulaire Exécutif – Parlement – Conseil économique, avec ses trois modes de représentativité différents, permettrait que la faiblesse de chacun soit équilibrée par les forces des autres. Elle permettrait aussi de garantir que l’ensemble des acteurs, ayant participé activement aux décisions, soient pleinement mobilisés quant à leur mise en application.
Il sera ainsi possible de définir une politique de création monétaire, qui nourrira les changements à prévoir ou à accompagner dans l’activité humaine. Nous avons vu que le succès d’une telle intervention nécessite une stratégie, une vue d’ensemble et une coordination entre les acteurs, il faudra donc une certaine dose de planification. Pas toutefois à la manière d’une procédure administrative à suivre à la lettre, mais comme le ferait n’importe quelle grande entreprise qui souhaite accomplir ses objectifs dans un environnement pas toujours amical.
Il nous reste à expliciter les différents leviers que nous pourrions avoir à notre disposition pour mener à bien notre politique monétaire. Mais avant cela, nous avons quelque chose d’important à voir concernant le fonctionnement de l’État.
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