La Création Monétaire et les banques

Nous avons vu dans l’article précédent la notion de vitesse de circulation de la monnaie, et la possibilité accordée aux banques de dépôts et crédits de « prêter de l’argent qu’elles n’ont pas ».

Posons-nous maintenant une question : que se passerait-il si tout le monde était à la même banque, et que les transactions se passaient exclusivement par virement ? Quel serait l’impact sur la Création monétaire par les banques ?
Imaginons que cette banque B accorde un crédit à un citoyen A pour acheter un produit à une entreprise E, qui paye ainsi son fournisseur F, lui-même salariant un citoyen A’ : les échanges peuvent alors avoir lieu sans que l’argent ne sorte à aucun moment moment de la banque. Et une telle banque pourrait ainsi accorder autant de crédits qu’elle veut, sans aucune limite.

Dans le système actuel, est-on loin de cette situation « idéale » ? Pas si l’on considère que les banques s’entendent entre elles. Reprenons notre exemple précédent en supposant cette fois que le citoyen A’ a son compte dans une banque B’. Au moment où A’ touche son salaire, de l’argent sort de la banque B pour rentrer sur son compte dans la banque B’. Plutôt que de laisser la banque B gérer la difficulté, B’ peut décider de lui prêter alors une somme équivalente afin de combler la fuite… en prenant tout de même un intérêt au passage.
En réalité ce genre d’opération a lieu tous les mois, permettant aux banques de se rééquilibrer entre elles : c’est ce qu’on appelle le marché interbancaire.

Parce qu’elles peuvent réguler la circulation monétaire, les banques de dépôts et de crédits ont un rôle positif à jouer dans l’économie. Mais elles ont en même temps un énorme pouvoir, une énorme responsabilité : la banque est libre d’ouvrir une ligne de crédit à qui elle veut et pour le montant qu’elle veut ; sa seule contrainte étant de disposer des fonds suffisants en cas de retrait ; lorsque les paiements sont dématérialisés comme c’est le cas actuellement, l’argent ne sort de la banque que pour rentrer dans une autre, et dans de nombreux cas il ne fait que passer d’un compte à un autre au sein du même établissement ; À partir du moment où les banques s’entendent entre elles pour se prêter les unes aux autres, la circulation de la monnaie peut donc techniquement être multipliée par trente, voire plus. 1La réglementation bancaire internationale « Bâle III » impose toutefois une limite à cette multiplication. Les banques sont ainsi tenues de maintenir un ratio minimum de 8% à 10,5% entre leurs capitaux propres et les «risques» auxquels elles s’exposent. Une erreur d’estimation, une négligence ou un comportement malveillant pourrait donc conduire à faire circuler beaucoup trop ou trop peu de monnaie, et ainsi à désaccorder complètement le flux monétaire et l’économie physique.

Que se passe-t-il lorsqu’un emprunteur fait défaut, lorsque la banque n’a plus assez d’argent dans ses coffres pour honorer les retraits de ses clients ou les prêts contractés sur le marché interbancaire ? C’est là qu’intervient l’Institut d’Émission qui est chargé de créer l’argent et de le mettre en circulation. En général il est toujours disposé à prêter aux banques lorsque celles-ci ont besoin d’un peu d’argent frais, moyennant un taux d’intérêt qui évolue selon les circonstances. Ces dernières peuvent ainsi se refinancer en cas de coup dur, que ce soit lorsqu’un ou plusieurs débiteurs ne peuvent plus tenir leurs engagements, ou bien lorsqu’une opération spéculative a mal tourné. C’est ainsi qu’à la suite de la crise de 2008, la Réserve fédérale américaine a prêté aux banques la rondelette somme de mille milliards de dollars en 1 an (soit 5% de la production annuelle du pays) sous forme d’achats de titres financiers, pour éviter que les spéculations sur l’immobilier américain ne déclenchent la faillite de l’ensemble du système bancaire international.2Le président américain Barack Obama a même expliqué dans l’une de ses « Remarks on Economy » qu’il lui semblait plus judicieux de renflouer les banques plutôt que les familles, dans l’idée que les banques allaient ensuite générer un « effet multiplicateur ». Ce qui s’est avéré inapproprié de deux façons : d’une part l’argent donné aux familles aurait été de toute façon dans les coffres des banques et aurait permis cette multiplication, d’autre part l’effet n’a de toute façon été que de 10 centimes pour un euro…

Précision importante

Parce qu’en zone euro l’Institut d’Émission ne traite techniquement qu’avec les banques, et que la corrélation entre l’argent qui rentre dans une banque et les crédits qu’elle accorde n’est qu’indirecte, on considère souvent que la Banque Centrale Européenne est la « banque des banques », et qu’il y a une distinction entre le circuit Institut d’émission ↔ banques, et le circuit banques ↔ économie. La monnaie émise par l’Institut d’émission est ainsi appelé « monnaie banque centrale », réputée différente de la création monétaire courante effectuée par les banques.
(Pour notre part nous ne sommes pas opposés à ce que l’Institut d’Émission traite directement avec des entreprises, des citoyens ou encore le Trésor Public, et en conséquence nous n’embrassons pas cette distinction.)

Les banques, donc, interviennent directement et sont en première ligne de la création monétaire : ce sont elles qui décident ce qui sera fait de l’argent, des orientations à donner à la circulation monétaire, de qui disposera de lignes de crédit et pour quel projet. Et quand nous disons « qui », cela comprend les citoyens, mais aussi les organismes publics… et souvent même les États, qui n’ont pas le droit d’emprunter à leur propre Institut d’Émission. Les montants ne sont pas anodins : en France en 2017, 720 milliards de nouveaux crédits sont octroyés par les banques privées soit plus de deux fois le budget du gouvernement, sans même parler des prêts sous forme de titres financiers ; le montant total des crédits en cours pour cette année est même égal au PIB du pays, 2200 milliards d’euros ;
Comme nous l’avons développé précédemment, la création monétaire est pour nous l’instrument qui permet de donner une orientation à l’activité humaine, que ce soit en termes quantitatif, qualitatif, ou pour ouvrir de nouvelles voies suite à un changement technique majeur. Lorsque cet instrument est l’apanage exclusif d’établissements à but lucratif (et majoritairement privés), de deux choses l’une : soit il y a une seule bonne manière de gagner de l’argent en octroyant des crédits, coïncidant avec l’intérêt général et avec l’évolution légitime de l’activité humaine ; soit c’est une tâche qui implique des choix ayant différentes répercussions à long terme, et dans ce cas les établissements bancaires – et leurs propriétaires – sont rémunérés pour mettre en œuvre leur propre politique.

Nous y reviendrons. À ce stade nous ne pouvons que vous encourager, lorsque vous choisissez une banque, à valider que sa stratégie et ses valeurs correspondent bien à votre vision du monde… si toutefois un tel établissement existe.

Et nous allons maintenant aborder un autre aspect du système actuel : son rapport à la dette.

Lire l’article suivant : Le mur de l’argent-dette

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